Le jour où une poterie m’a fait comprendre, entre autre, que je n’avais pas les mains d’or de mon père.
Je ne peux pas vraiment dire que les années au collège furent très heureuses. Elles me permirent, certes, de me faire de nouveaux amis, mais elles me firent vivre des expériences assez désagréables même si elles ne furent pas vraiment traumatisantes.
Vous souvenez-vous des cours de travaux manuels au collège ?
Nous sommes en 1976 et malgré le fait que mon collège fût un collège mixte, le cours de travaux manuels étaient scindé en un cours pour les filles (couture, broderie etc) et un cours pour les garçons (menuiserie, poterie etc) !
Une chose est sûre, je n’étais pas l’élève favori de notre professeur. Je peux même dire qu’il me regardait souvent avec un regard navré.
Je ne me souviens pas de son nom mais de son apparence. C’était un petit homme trentenaire aux cheveux et à la barbe hirsutes, avec son tablier gris. Je ne pense pas qu’il avait été sensible à la philosophie hippie et au Flower Power. Il paraissait s’ennuyer énormément dans sa classe. Et, pour finir, je détestais sa manière d’utiliser notre nom comme un prénom.
Les cours duraient une matinée. Ce jour-là, nous nous retrouvâmes donc avec une boule de glaise et le professeur nous demanda de créer une petite poterie sans tour.
Lorsque le professeur me demanda quel type de poterie je désirais réaliser, je lui dis que je souhaitais façonner une petite boîte à bagues.
L’idée était de faire une poterie la plus fine, régulière et stable possible. Autant vous dire que ce fût mission impossible pour moi. Après plusieurs tentatives, mon oeuvre était toute tordue ou s’affaissait misérablement. A mon grand désarroi, je voyais la plupart de mes camarades s’acquitter de leur tâche avec un certain succès.
Je me résignai donc à modeler une poterie aux parois épaisses sous l’oeil consterné de mon professeur. Il avait bien compris que ce travail était au dessus des possibilité de mes mains malhabiles.
Jusqu’à cette étape là, à part me lancer ses regards accablés, il n’était pas intervenu dans mes tentatives. C’est alors que je commençai à m’attaquer au couvercle.
Dans ma tête, j’avais l’image d’une petite poterie délicate. Je voyais une forme végétale, enfin, dans mes rêves.
Me voici donc en train d’élaborer un couvercle en forme de fleur. Et là, mon professeur m’interpelle hilare devant tous mes camarades :
-Bisotti, êtes-vous sûr de ce que vous faites ?
-Oui Monsieur, je souhaite créer un couvercle en forme de fleur.
-Ne pouvez-vous pas vous contenter d’un couvercle tout simple ?
-Je préfère la forme d’une fleur.
-Votre poterie est déjà bien grossière. Ne pensez-vous pas que cela fera un peu mastoc ?
– Sûr de moi – Non Monsieur, au contraire.
-Cela me semble assez hideux. Mais nous verrons la semaine prochaine lorsque cela aura séché. Une chose est sûre, la poterie n’est pas votre fort.
Malgré la brûlure sur mon visage, due à cette attaque inattendue, je continue à donner sa forme au couvercle.
A la fin du cours, nous devons signer la poterie et la mettre sur un plateau pour le séchage.
Le professeur nous apprend que, le cours suivant, nous appliquerons l’émail et mettrons nos poteries dans le four. Il nous avertit que certaines oeuvres ne passeront pas la phase du séchage et d’autres, la phase de cuisson. Son regard narquois est rivé sur moi.
Je vous épargne les douces pensées qui traversèrent mon esprit.
La semaine suivante, nous retrouvons nos poteries. Miracle, la mienne est intacte. Certains camardes n’ont pas cette chance, mais ils ne reçoivent aucune remarque désobligeante de la part du professeur. Ils doivent recommencer le travail.
Je ne sais pas si, à cette époque, j’avais déjà vu Peau d’Âne de Jacques Demy. Le film était sorti en 1970. Son influence était donc tout à fait plausible, tout comme les céramiques andalouses et plus particulièrement de Grenade. Toujours est-il que lorsque il a fallu que nous choisissions la couleur de notre émaillage, cela donna lieu à cet échange :
-Alors Bisotti – avec un ton bien sarcastique – je vois que votre chef d’oeuvre a passé l’épreuve du séchage. Avez-vous réfléchi à la teinte que vous désirez pour cette poterie?
-Oui Monsieur, je souhaite un vert d’eau pour l’extérieur et blanc à l’extérieur.
-Un vert d’eau ?
-Oui, un vert qui ressemble à de l’eau
-Et vous pensez que j’ai un émail qui s’appelle vert d’eau ? Vous ne pouvez pas choisir quelque chose de plus simple ? Bleu, vert tout simple, marron ?
-J’imagine une poterie vert d’eau et blanche
-Vous imaginez quelque chose de compliqué et cela risque de donner un amalgame totalement affreux. Mais c’est votre poterie. Appliquez d’abord l’émail blanc sur toute la poterie et ensuite, l’émail qui donnera la teinte verte sur les partie extérieures. Je ne vous garantis pas le résultat et je crois même que cela sera encore pire que ce que je pensais. Vous êtes impayable Bisotti !
De toute la séance, il ne s’en est pris qu’à moi. Les autres ont eu droit à des hochements de tête ou des conseils à propos de la teinte choisie mais point de remarques désobligeantes.
Vous l’avez compris, je n’étais pas un élève très doué pour les travaux manuels. Mais je n’ai jamais saisi d’où venait cette animosité à mon égard. D’ailleurs, ce n’était pas le seul professeur à se comporter de cette manière avec moi. Il y avait aussi un professeur de mathématique qui fit tout pour me dégoûter de cette matière sans y parvenir, un professeur de français à l’haleine chaude et chargée qui ne me supportait pas, surtout lorsque j’étais avec mon ami Jean-Luc avec qui nous avions des fous rires à répétition. Et que dire du professeur d’éducation physique qui disait de moi que, lorsque je courrais, je me dandinais “comme une négresse”.
Je ne pense pas que j’étais un élève désagréable. J’avais de bons résultats et je n’étais pas chahuteur même si j’aimais rire et bavarder. Il est vrai que l’on me reprochait souvent d’avoir un regard impertinent et moqueur. Mes looks commençaient à sortir de l’ordinaire au point que je fut réprimandé par la surveillante générale. C’était à propos de chemises (de mon père) que je portais hors du pantalon avec une veste de costume. “Monsieur Bisotti, je ne veux plus voir cette tenue débraillée”
Et puis, je fus un des premiers à avoir une boucle à mon oreille droite.
Le point commun de ces odieux personnages était que c’étaient des hommes. Et je soupçonne qu’une homophobie sournoise dictait leur comportement. Ce n’était pas du harcèlement, mais presque. Je crois même que ma mère avait rencontré le professeur du mathématique, Monsieur Deuillhet, et que cela n’avait fait qu’empirer les choses.
Cependant, l’attitude de ces professeurs ne réussit à pas effacer ma joie de vivre et ma bonne humeur. D’abord parce qu’il y avait des professeurs qui m’appréciaient. Mais je pense surtout que j’eus la chance d’avoir une famille aimante, ce qui m’aida à ne pas être traumatisé outre mesure. Je crois même que cela m’endurcit pour la suite et que n’abordai pas le lycée de la même manière. J’imagine les ravages que cela aurait pu causer si j’avais été un peu fragile.
Mais revenons à ma poterie !
Elle sortit du four en un seul morceau. Et même si mon professeur me la remit avec un air contrit, il n’arriva pas à me vexer car j’adorai le résultat ! Le vert, qui résulta de la cuisson, est exactement le vert céladon que j’adore toujours et la combinaison avec le blanc est une réussite.
Même si elle n’était pas d’une grande finesse, j’avais réussi à créer une poterie originale. Je peux même me permettre de dire que j’avais déjà le sens des couleurs.
Et puis, j’ai retrouvé ce petit pot à bague, sur les étagères de mes parents, plus de 40 ans après sa fabrication ! Quand je pense que le professeur pensait qu’il ne passerait pas l’épreuve du séchage. Bachibouzouk, va !
Et bien, moi je l’aime toujours autant ma poterie.







