Les moments magiques sont des moments d’émotion musicale. Mais ils sont aussi magiques car liés à des évènements marquants de ma vie.
Persian Love, c’est une soirée d’hiver. Il y a fort longtemps…
Je suis parti faire mes études à Bordeaux en 1982, où je ne connaissais personne.
J’ai eu une adolescence assez solitaire. J’avais quelques bons amis mais je n’allais jamais dans les fêtes organisées par les camarades de classe.
Lorsque je suis arrivé à l’IUT, j’ai été, tout d’un coup, confronté à une multitude d’étudiants. Mais le tri s’est fait assez naturellement grâce à un cours dans un amphi énorme, le lundi matin. Des petits groupes se sont formés, des affinités intuitives. Et les fou-rires ont commencé. C’est comme cela que j’ai commencé à bavarder avec Dominique, avec Ninva et quelques autres. Mais, c’était encore très superficiel.
Dominique était la plus âgée avec 10 ans de plus que moi. Et même si nous discutions un peu, je voyais que je ne l’intéressais pas vraiment. J’avais 18 ans, je n’avais rien vécu, un merdeux.
Elle était une des seules à avoir un véritable appartement “d’adulte”. C’était un bel espace sous les toits dans le quartier Saint Pierre où elle vivait avec ses deux chats.
Quand tout le monde a pris ses marques, les fêtes ont commencé à être organisées. J’évitais d’aller dans la plupart, souvent parce que j’explorais le milieu gay bordelais, milieu associatifs, bars etc
C’était donc chez Dominique que la première grande fête à laquelle j’ai participé, a été organisée. Je me souviens qu’il y avait beaucoup de monde, de l’alcool et de l’herbe qui circulait.
La fête battait déjà son plein et nous étions tous avachis dans la grande pièce principale. Dominique avait une belle collection de vinyls mais je n’ai aucun souvenir de ce que nous avons écouté.
Sauf que, soudain, une voix s’est élevée, un chant totalement inconnu. J’étais déjà complètement captivé. C’est alors que j’ai senti quelqu’un qui se redressait à côté de moi et qui a dit : “Mais c’est de la musique de mon pays, c’est chez moi”.
C’était Ninva.
Et nous voici, Ninva, Dominique et moi, en train de discuter sur l’histoire de Ninva, son exil d’Iran, tout en écoutant, ce morceau incroyable qui me bouleverse de plus en plus, car il dégage une tristesse infinie.
Et à 2:05, une voix féminine récite un poème, deux strophes. A ce moment là, je n’ai absolument pas compris sa signification mais j’ai senti une profonde mélancolie. Ensuite un chant féminin puis un chant masculin sont arrivés, très particuliers. Quel choc !
Cette technique de chant est une technique typique du chant classique iranien. Tahrir est la technique vocale unique de la musique classique persane ; c’est un type d’ornementation à effet de quasi-yodel et de notes de fausset aiguës. (Source)
Lors de ce passage, nous avons vécu un épisode très spécial, une sorte de communion. Peut-être, était-ce dû à l’herbe qui circulait allègrement depuis le début de la soirée ? 🙂
J’ai demandé, bien longtemps après, une traduction du poème :
“Tu t’es accommodé au feu de la tristesse et de nombreuses fois, tu t’es fait brûlé par le feu de la tristesse.”
Je ne suis pas étonné si, ce soir là, j’ai été subjugué.
40 ans après, Persian Love, de Holger Czukay, me procure la même émotion, musicale, bien sûr, mais aussi sentimentale.
En effet, cette chanson a scellé des amitiés indéfectibles. Ce soir là, cela été un véritable coup de foudre entre nous trois, un moment magique qui a changé notre vie.
Persian Love est notre hymne, la mémoire de Dominique.
Mais, c’est encore une autre histoire.

Musicalement, ce morceau m’a ouvert vers d’autres horizons musicaux, dont les Cocteau Twins que j’ai découverts peu de temps après.
Holger Czukay dit : ” Persian Love ” est le premier morceau de musique que j’ai créé alors que je venais de trouver ma propre voie. Après tant d’années passées à jouer de la basse dans le groupe CAN, je me suis retrouvé dans une situation où je devais à nouveau jouer de la guitare. Dans la nuit, dans mon home studio, j’ai mis le multipiste à mi-vitesse et j’ai joué de la guitare au ralenti – la lecture s’est ensuite faite à vitesse normale. C’est ainsi que j’ai pu redevenir guitariste. La batterie et les percussions avaient été enregistrées de la même manière, ce qui n’a pas posé de problème à Jaki Liebezeit, le batteur de Can, qui se déplaçait comme un paresseux. Seul le couple de chanteurs de Perse (Iran) faisait exception. Je les ai enregistrés en direct à partir de ma radio à ondes courtes.
Cependant, le secret musical de “My Persian Love” ne s’explique pas si facilement. Comment un musicien lointain a-t-il pu se synchroniser sur ma guitare comme s’il l’écoutait simultanément ? Et la musique aurait-elle sonné de la même manière s’il avait été présent dans mon studio ? Il semble parfois préférable que le musicien n’entende pas l’autre pendant l’enregistrement.